Généralement, les stratèges qui font de la planification stratégique commencent le processus en définissant d’abord la raison d’être de l’entreprise. Pour ma part, j’aime bien commencer le processus stratégique par un bon diagnostic SWOT (Strenght, Weaknesses, Opportunities and Threats) ou forces, faiblesses, occasions d’affaires et menaces. À mon avis, il serait mal avisé de définir une raison d’être qui s’appuie ou qui corresponde à une faiblesse de l’entreprise. Quoi qu’il en soit, la raison d’être est la pierre d’assise de la planification stratégique. Tout le reste, métier premier (core business), stratégie de démarcation, proposition de valeur, cibles de développement, etc., découleront de cette raison d’être.

Commençons par quelques définitions (toutes personnelles).

  • La raison d’être : est la raison principale de ce pour quoi l’entreprise a été créée, ou achetée. Cette raison d’être définit le rôle que l’entreprise entend jouer dans la société au-delà de sa seule activité économique 
  • La mission : explique comment l’entreprise compte s’y prendre pour réaliser sa raison d’être. Généralement, la mission décrit les produits et services offerts, les segments de marchés cibles et, souvent, la façon dont elle se distingue de la concurrence.
  • La vision : explique, sur un horizon de temps long (10 ans, 25 ans, etc.) ce que l’entreprise souhaite devenir, ou, si elle y est arrivée, ce qu’elle veut maintenir? Cette vision précise la façon dont l’entreprise souhaite être connue et/ou reconnue dans ses marchés et dans sa communauté?

Certains de mes clients affirment que la mission de l’entreprise et sa raison d’être sont une seule et même chose. Par contre, tous semblent s’entendre pour dire qu’ils ne se déclinent pas de la même façon. Chose certaine, la mission doit être en totale cohérence avec la raison d’être. Personnellement, je considère la raison d’être comme étant l’objectif ultime de l’entreprise et la mission, comme étant le moyen de réaliser cet objectif. L’objectif demeure, mais les moyens peuvent changer au fil du temps. 

La mission et la vision sont des éléments de plus en plus connus pour les dirigeants de PME, mais la raison d’être est encore largement méconnue. Très souvent lorsque je demande à un PDG et à son équipe de direction quelle est la raison d’être de son entreprise, après un long silence embarrassant, le PDG finit par me répondre « Euhhh … ben, c’est de faire de l’argent! » et l’équipe se met à rire. Ma réponse humoristique à cette boutade c’est « S’il n’y avait que l’argent qui comptait, vous seriez devenu membre des Hells Angels, c’est la façon la plus rapide et la moins éreintante de faire de l’argent ». Quelquefois, l’entrepreneur me répond « Oui, mais c’est illégal » et moi de lui dire « Donc, il n’y a pas que l’argent qui a compté pour le démarrage ou l’achat de votre entreprise ». Et la discussion se poursuit.

Quelques exemples

Pour faciliter la compréhension, j’aime bien donner quelques exemples de raison d’être d’entreprises connues. 

Né en 1918, Sam Walton, le fondateur de Wal-Mart, a souffert de la grande dépression de 1929. Il s’est lancé en affaires pour aider les gens ordinaires à se procurer des biens habituellement réservés à des gens plus riches. De là sa loi du plus bas prix tous les jours (jamais de spéciaux). 

Steve Jobs de Apple, quant à lui, était une personne rebelle qui voulait défier l’ordre établi et ne rien faire comme les autres. De là son slogan de 1984 « Think different ». Pour les intéressés, je suggère de visionner l’excellente et très populaire vidéo Why de Simon Sinek qui utilise l’exemple de Apple pour illustrer son propos. Son livre Commencer par le pourquoi est également très intéressant.

La raison d’être de la pharmaceutique Merck est de protéger et d’améliorer la vie. C’est très noble et surtout cette raison d’être pourrait permettre à Merck de sortir de l’industrie pharmaceutique pour explorer d’autres avenues permettant de protéger et d’améliorer la vie. La raison d’être est l’objectif fondamental de l’entreprise et la mission est le moyen choisi pour la réaliser. La mission de Merck pourrait donc évoluer dans le temps même s’il est peu probable que cela se produise.

Raison d’être de quelques clients

Une cliente a comme raison d’être de changer le monde de la construction, rien de moins. Son entreprise qui offre des services d’installation électrique pour les secteurs industriel, commercial et institutionnel compte plus de cent employés. La présidente constate que le domaine de la construction est une vraie jungle où chacun tente de survivre quitte à étrangler le voisin pour y arriver. Elle déteste cela et refuse d’y participer. Conséquemment, elle traite toutes ses parties prenantes (employés, clients et fournisseurs) comme s’ils étaient ses meilleurs amis. Elle fait confiance aux gens et, à force de persévérance, les gens lui font confiance. Et ça marche, très bien même.

Chez un autre client, au cours de leur planification stratégique, après une longue période de réflexion et de discussion pour tenter d’identifier la raison d’être, un des trois associés nous raconte le démarrage de l’entreprise. Tous les trois travaillent pour des employeurs différents et, autour d’une bière après une dure journée de labeur, ils constatent tous les trois que leurs employeurs respectifs les font « chier royalement»!!! Ils se mettent à rêver et à imaginer qu’ils se lancent ensemble en affaires. Ils ne parlent pas ou très peu du secteur d’activité, pour eux trois c’est secondaire, mais ils parlent surtout de comment ils traiteraient leurs employés et de combien ce serait agréable de travailler dans cette entreprise. Quelque temps plus tard, un d’entre eux perd son emploi et convainc les deux autres de se lancer en affaires avec lui.

L’expérience a très bien fonctionné et une quinzaine d’années plus tard, ils réalisent des revenus annuels de plusieurs dizaines de millions de dollars. En cours de route, les nombreux problèmes de croissance ont fait en sorte que le plaisir au travail a progressivement diminué. Cette discussion, au cours de leur planification stratégique, leur a fait réaliser qu’ils s’étaient peu à peu éloignés de leurs racines et que tous les trois avaient de moins en moins de plaisir à diriger l’entreprise. Ils ont alors décidé d’un commun accord de remettre le cap sur le plaisir au travail et les sourires sont revenus sur tous les visages, y compris les visages des autres membres de l’équipe de direction. La plupart des membres de l’équipe s’étaient joints à l’entreprise plusieurs années auparavant justement à cause de la réputation des dirigeants à « mettre du fun dans la place ». Nous verrons plus loin, qu’une raison d’être qui fait du sens peut être très attractive pour des candidats à la recherche d’emploi.

Raison d’être, entreprise progressiste et rentabilité

Depuis une douzaine d’années on voit de plus en plus apparaître des entreprises progressistes. Ces entreprises ont comme caractéristiques d’avoir une double mission. Une mission économique traditionnelle, être rentable, et une mission sociétale, contribuer à un monde meilleur. La mission sociétale est la mission principale et prioritaire tandis que la mission économique, secondaire, a pour but de rendre l’entreprise pérenne puisque, vous en conviendrez avec moi, une entreprise en faillite ne peut plus contribuer à rendre le monde meilleur. La recherche de profits à tout prix n’a pas sa place dans une entreprise progressiste, mais une saine rentabilité est essentielle. Pour plus d’informations sur ce qu’est une entreprise progressiste je vous conseille de visiter le site Entreprise Progressiste.

La raison d’être d’une entreprise progressiste comporte habituellement un ou deux axes. Le premier axe est l’axe de l’écologie et de l’environnement. Une entreprise progressiste ne pollue pas et respecte la planète et toutes ses ressources. Elle sera carboneutre ou mieux, elle dépolluera la planète. Le deuxième axe est l’axe de l’humain et l’on parle de tous les humains, de toutes les parties prenantes ; les employés, les clients, les fournisseurs, la communauté et les actionnaires. Elle traitera tous les humains de façon équitable, et ce, quelles que soient leur race, leurs croyances ou leur religion. Une entreprise progressiste ne paiera jamais son PDG 200 fois le salaire moyen ou médian de ses employés par exemple.

Dans les exemples précédents, Wal-Mart, Apple et Merck ne sont pas des entreprises progressistes. Wal-Mart traite très bien ses clients à qui elle consent de très bons prix, mais pour ce faire, elle maintient ses employés dans la pauvreté et affame la plupart du temps ses fournisseurs. 

Apple fait ce que l’on appelle de l’obsolescence programmée, i.e., des téléphones qui doivent être remplacé tous les trois ans par exemple, et elle pratique aussi l’évitement fiscal. Cet évitement fiscal fait en sorte qu’Apple contribue peu ou pas au panier de service (éducation, santé, infrastructures, etc.) dans les pays où elle réalise ses ventes, mais elle bénéficie d’employés éduqués, soignés et d’un bon réseau routier. Pas très respectueux pour ses clients, ses marchés et la planète. 

Merck, comme la plupart des autres pharmaceutiques, utilise des stratégies de prix extrêmes afin de maximiser ses profits, et ce, au détriment des personnes moins bien nanties qui, trop souvent, ne peuvent se payer leurs médicaments. Protéger et améliorer la vie, oui, mais pas pour tous, semble-t-il.

L’exemple de deux entreprises progressistes établies au Québec

Prana , un producteur de collations (snack) santé, a pour raison d’être de changer le monde une noix à la fois. Voici ce que disait Alon Farber, co-fondateur de Prana avec Marie-Josée Richer ; « Nous étions convaincus de l’importance de manger sainement tout en respectant les cycles naturels de la terre et des écosystèmes. ». Prana respecte la planète de même que toutes les parties prenantes de son entreprise. 

J’ai lu, il y a quelque temps, un article ou Marie-Josée Richer disait ne pas avoir de problème à recruter du personnel, et ce, dans une industrie qui peine à le faire. L’écoute de la vidéo de M. Simon Sinek (cité plus haut) explique pourquoi. Lorsque la raison d’être d’une entreprise « fait du sens », les personnes qui partagent les mêmes valeurs, les mêmes croyances et les mêmes désirs veulent se joindre à leurs semblables. Ils le font pour eux et non pour l’entreprise. Évidemment, si votre principale raison d’être est de vous en mettre plein les poches, c.-à-d., partager le moins possible avec les autres, et bien … bonne chance!

Raméa est une jeune entreprise spécialisée dans la culture et la transformation de saules en une grande variété de produits et de services. La raison d’être de l’entreprise est de changer le monde avec les plantes. Une des unités d’affaires de Raméa se spécialise dans la culture de saules dans des sites d’enfouissement matures et contaminés. Les propriétés naturelles du saule alliées aux connaissances et aux procédés de l’entreprise permettent d’éliminer le lixiviat (liquide résiduel et pollué) des sites d’enfouissement. Les saules boivent le lixiviat et ils le transforment en composés naturels non polluants. Quelques années plus tard, les saules peuvent être, à leur tour, utilisés dans la fabrication de produits naturels tels que des murs antibruit, du paillis, des clôtures, etc. Raméa fait donc d’une pierre deux coups, ce qui est le propre de l’économie circulaire.

Raméa a également adoptée le modèle de gestion  Entreprise libérée dans lequel il n’y a plus de patron et où les responsabilités sont partagées. La direction fait confiance au bon jugement et aux compétences de toute son équipe. Ah oui, chez Raméa aussi le recrutement n’est pas un problème!

Une raison d’être qui fait du sens est très mobilisatrice et je ne suis pas le premier à le constater. Voici deux citations qui le démontrent.

« La raison d’être d’une organisation est de permettre à des gens ordinaires de faire des choses extraordinaires. » Peter Drucker

« Si tu veux convaincre les gens de construire un bateau avec toi, ne leur parle pas de planches, de clous, d’outils …, mais partage avec eux ta passion de la mer. » Antoine de Saint-Exupery.

À votre tour

J’espère que ces quelques exemples vous inciteront, si ce n’est pas encore fait, à définir la raison d’être de votre organisation. Ce n’est pas un exercice facile. Il faut se laisser du temps de réflexion et du temps de discussion avec vos équipes. Si on tente de faire cet exercice dans le tumulte du quotidien et que l’on veut procéder rapidement, parce qu’il y a des commandes de clients qui attendent par exemple, le résultat risque d’être un peu n’importe quoi. En ce domaine, vaut mieux ne rien dire que d’affirmer des choses qui ne sont pas tout à fait vraies et qui vous feront perdre votre crédibilité aux yeux de vos équipes.Au besoin, contactez-moi et je prendrai plaisir à vous partager mon expérience sur le sujet. Bonne réflexion et bonne planification stratégique.