Façon de faire simple, mais non optimale
Lorsque j’analyse la stratégie de prix de mes clients, voici le processus que je retrouve la plupart du temps :
1. On établit le prix coûtant de chacun des produits
2. On discute avec le contrôleur de la majoration (mark-up) minimale pour couvrir les frais généraux, les frais fixes, etc., et un profit raisonnable. Par exemple :
O Mark-up minimal de 25% = 100$ X 1,25 = 125$ (prix de vente minimal)
O Ce qui donne une marge de 20% = 25$/125$
3. On fait une très (trop) courte enquête sur les prix des principaux concurrents pour des produits identiques ou similaires aux nôtres. Malheureusement, en PME on fait rarement des focus group avec des groupes de clients pour évaluer la valeur perçue pour nos produits et la valeur perçue pour les produits des principaux concurrents. À mon avis c’est une grande lacune.
4. Avec ces informations, on établit une majoration qui nous donnera une marge acceptable et qui, on l’espère, ne nous fera pas trop perdre de ventes.
5. Cette majoration est alors appliquée à l’ensemble de la gamme de produits. « Across the board » comme on dit.
6. Selon le type de client (distributeur, détaillant, utilisateur, etc.) une majoration spécifique est établie qui s’appliquera à tous les produits vendus à ce client. Par exemple :
• Distributeurs : on applique une majoration, par exemple, de 30% sur tous les produits ce qui nous donnera une marge de 23%
O Majoration = 100$ X 1,30 = 130$
O Marge = 30$/130$ = 23%
• Détaillants : on applique une majoration de 75%, par exemple, pour tous les produits ce qui nous donnera une marge de 42,9%
O Majoration = 100$ X 1,75 = 175$
O Marge = 75$/175$ = 42,9%
• Etc.
Selon moi, le processus précédent me semble bon sauf pour le point #3 (focus group manquant) et aussi pour le point #5 (majoration « accross the board »).
Question : croyez-vous que la valeur perçue par vos clients pour chacun de vos produits ou services soit exactement proportionnelle avec son prix coûtant ?
Moi, je crois que non. Et je crois qu’une majoration uniforme vous fait laisser beaucoup d’argent sur la table.
En fonction de la rareté d’un produit ou encore de la valeur perçue par le client, le prix demandé devrait être modulé afin de maximiser la marge bénéficiaire de chacune de vos transactions de vente. Par exemple, les tarifs de Uber varient en fonction de l’achalandage au cours d’une même journée.
Exemple simple
Vous êtes propriétaire d’une boutique de souvenirs dans le vieux Québec. Vous avez en stock deux collections de tasses provenant du même fournisseur. Le format de tasse pour les deux gammes est identique sauf que la première gamme est décorée par des dessins d’enfants et la deuxième gamme est décorée par des photos d’animaux ayant à peine quelques mois.
Chaque tasse vous coûte 1,95$ et le prix de détail suggéré par le fournisseur est 3,95$ (marge de 50,6% = standard chez les détaillants). Après quelques mois, vous remarquez que la gamme de tasses avec des photos de petits animaux, « cute à mourir », comme le disent plusieurs de vos clientes, est régulièrement en rupture d’inventaire, i.e., très très populaire auprès de la clientèle. Comme il n’y a que vous qui sachiez que le prix de chaque tasse est le même, vous pourriez facilement augmenter le prix des tasses avec photos de jeunes animaux, à 4,50$ par exemple. Il y a fort à parier que cette augmentation n’aurait aucune incidence négative sur le nombre de tasses vendues. Par contre, votre marge augmenterait de 27,5% (2,55$ vs 2,00$). Donc, cette nouvelle majoration ferait en sorte que la vente de quatre tasses vous apporterait une marge un peu plus élevée que la vente de cinq tasses à l’ancien prix. C’est équivalent à augmenter ses ventes de 27,5% sans augmenter ses stocks et sans embaucher de personnel supplémentaire pour gérer plus de transactions.
Méthode structurée
J’ai été propriétaire d’une PME manufacturière pendant un peu plus de 18 ans. Nous faisions l’usinage de culasses de moteurs pour automobiles. Notre catalogue de produits comptait un peu plus de 600 modèles différents (SKU : Sales Keeping Units). Ces 600 SKU généraient environ 92% de toutes nos ventes et les 10 ou 15 SKU les plus populaires généraient autour de 15% à 20% de toutes nos ventes en unités (le principe de Pareto).
Voici quel était notre processus annuel de révision des prix de vente. Chaque automne, nous formions un petit comité composé du directeur des ventes, d’un représentant des ventes externe, d’un représentant des ventes internes (comptoir) et de moi, le PDG. Nous avions alors une discussion sur l’état du marché : y a-t-il plus (ou moins) de concurrence, sont-ils très agressifs sur les prix (avec exemples concrets svp), la situation économique globale est-elle mauvaise ou bonne, etc. Notre objectif était alors de définir, par territoire géographique, Québec, Ontario, maritimes, Ouest canadien et Etats-Unis, l’augmentation maximale que nous pouvions passer sans trop perdre d’unités vendues. Ce pouvait être 4% au Québec, 2% en Ontario, 5% aux USA, etc.
Lorsque nous avions statué sur ces pourcentages (ce qui prenait environ une heure de discussion), je fournissais à l’équipe de vente un fichier Excel qui contenait les ventes par SKU et par territoire de la dernière année. Le fichier indiquait le nombre d’unités vendues, le prix de vente moyen et la somme des deux pour les 12 derniers mois (total des ventes). La section « Prévu » contenait le % d’augmentation, variable pour chacun des SKU, et en fonction du pourcentage inscrit, le total des ventes. La somme devait être égale à celle des douze derniers mois avec en plus l’augmentation souhaitée.
L’exercice à faire pour l’équipe était de jouer avec l’augmentation de chacun des SKU jusqu’à ce que les ventes totales soient soit égales à l’augmentation recherchée (dans l’exemple plus bas, 4%). Comme nous savions que nos clients avaient l’habitude de scruter avec beaucoup d’attention les prix des meilleurs vendeurs (10-15 SKU) et que la compétition était très féroce sur ces modèles, nos augmentations pour ces SKU étaient toujours très modestes (lignes en bleu). Par contre, l’idée était de se reprendre là ou il était plus facile de le faire. Mon équipe avait un plaisir fou à effectuer cet exercice, au point où je devais quelquefois leur demander de conclure et de passer à autre chose.
Un petit truc
Lorsque j’explique à mes clients cette façon de faire, plusieurs me font remarquer un obstacle important. Ils me disent habituellement ceci « Notre système informatique n’est pas assez flexible pour établir des majorations différentes pour chacun des SKU. Bien sûr, nous pourrions le faire en entrant de faux prix coûtant, mais le calcul des marges serait alors faussé ».
En 1984 (c’est vieux en titi ça!) notre vieux système informatique (Altos, si ma mémoire est bonne) nous permettait de le faire! Pas directement, mais indirectement. Voici comment. Dans tous les systèmes informatiques, il y a une fiche produit dans laquelle il y a plusieurs champs pour capturer toutes les informations concernant chacun des produits (SKU) ; le poids, les dimensions, le prix coûtant, la catégorie, etc. J’ai donc choisi un champ que je n’utilisais pas pour entrer un prix coûtant différent du vrai prix coûtant et à partir duquel se calculait la majoration. Par la suite, ça prend un petit peu de programmation (pas tant que ça), pour que le prix vendant se calcule à partir du « faux » prix coûtant et que la marge se calcule entre le vendant et le vrai coûtant. De cette façon, nous maximisions la marge bénéficiaire pour chacun de nos 600 SKU. Vous pourriez certainement faire quelque chose de semblable avec votre système.
Autre application
Une stratégie de prix peut aussi être mise en place pour « élaguer » les produits ou services que votre planification stratégique aura identifié comme ne faisant pas partie de vos produits stratégiques.
Première option : réduire fortement les prix afin de liquider les produits que vous avez en stock. Évidemment, le département des achats (ou la production) devra être avisé afin de ne pas les remplacer.
Deuxième option : exactement l’inverse de la première. On augmentera alors fortement les prix de vente afin de réduire l’appétit des clients pour ces produits. Cette option sera considérée uniquement lorsque la demande est forte pour les produits dont nous souhaitons nous départir et qu’il y a un phénomène de rareté dans le marché. Comme pour la première option, les produits vendus ne seront pas remplacés.
Oui, oui, il est possible que la planification stratégique nous demande de nous éloigner de produits qui sont malgré tout très en demande. Ce n’est pas parce que la demande est forte que nous sommes nécessairement dans notre domaine d’expertise. Un bon plan stratégique comprendra des actions pour développer les ventes de produits (services) stratégiques et comprendra des actions pour élaguer ce qui ne l’est pas.
Conclusion
Le système que je vous propose est un peu plus compliqué qu’une majoration uniforme, mais ça vous permet de maximiser la rentabilité de chacun de vos SKU. Si votre profit brut est de 30% et votre profit net de 5%, vous avez une façon, somme toute simple, d’atteindre assez facilement 32% de brut et 7% de net, c’est-à-dire 40% de profit net de plus (7% vs 5%), encore une fois sans aucun investissement si ce n’est quelques centaines de dollars de programmation.
En résumé, le comptable définit le prix plancher de vos produits (mark-up minimal) et le marché (valeur perçue par le client et/ou rareté des produits) définit le prix plafond des produits.
Merci de me lire.
N.B. : il est possible que certains d’entre vous trouvent cette stratégie de prix un peu trop … capitaliste! Malheureusement, si on veut faire de meilleures marges, il faut trouver des façons de vendre nos produits un peu plus chers ou encore de réduire nos coûts (ce qui fera l’objet de prochains articles). Dites-vous que le meilleur service qu’une entreprise puisse rendre à ses clients est de rester elle-même en bonne santé. Difficile de bien soutenir un client quand on a soi-même de la difficulté à se tenir la tête hors de l’eau.