En 1997, mon associé, UAP-NAPA, me dit « Richard, ça va faire bientôt 8 ans que nous sommes associés ensemble et sur un volume d’affaires cumulé de plus de 25M$ tu n’as eu que 6,000$ de mauvaises créances. Comment t’y prends-tu pour avoir aussi peu de mauvaises créances? ». On parle ici d’un taux de ,00024%, du jamais vu selon mon associé.

Pour comprendre mon « truc », il faut reculer quelques années avant, en 1982. Les taux d’intérêt avaient grimpé en flèche, jusqu’à 19%, et, chez mes clients concessionnaires de voitures neuves, c’était l’hécatombe.

Chaque semaine ou presque, je recevais une lettre d’un huissier m’informant qu’un client s’était placé sous la protection de la loi sur les faillites et je savais très bien qu’à la fin du processus il ne resterait plus rien pour nous qui n’étions jamais parmi les créanciers privilégiés.

Jamais je n’oublierais cette journée ou mon banquier m’a informé que deux des chèques constituant mon dépôt de la veille avaient été refusés faute de fonds chez mes clients et que conséquemment, il refusait d’honorer mes propres chèques de paie …! Mon univers s’écroulait et j’imaginais déjà le banquier saisir ma maison, mon auto et tout le reste puisque je garantissais personnellement mon entreprise jusqu’aux oreilles, comme la plupart des jeunes entrepreneurs de cette époque.

Je ne me souviens plus comment j’ai fait pour le convaincre d’honorer les chèques de paies de la semaine, mais à partir de ce moment je me suis juré que plus jamais cela ne m’arriverait. C’est à ce moment-ci de l’histoire que je vous explique mon « truc ».

Première mesure. J’ai passé en revue tous les clients à qui je consentais du crédit, on parle ici de centaines de clients. Sur le lot, j’en ai identifié peut-être une dizaine qui m’inquiétait plus que les autres et j’ai mis leur limite de crédit à zéro. Ou ils me payaient à la réception ou ils achetaient ailleurs et je me souviens très bien que plusieurs d’entre eux ont choisi d’acheter ailleurs. Cette perte de clients me laissait de marbre puisque je préférais nettement perdre un client que de mettre mon entreprise en danger. Pour m’en convaincre, je n’avais qu’à me remémorer l’état d’esprit dans lequel j’étais lorsque mon banquier m’avait annoncé qu’il n’honorerait pas mes chèques de paie.

Deuxième mesure, que j’ai assouplie un an ou deux plus tard. J’ai mis TOUTES les limites de crédit de mes clients à 1,000$. Lorsque la limite était atteinte, mes ventes internes ne pouvaient tout simplement plus facturer le client. Nous exigions alors un paiement à défaut de quoi le client devait payer à la réception jusqu’à ce que son solde soit acquitté. Encore une fois, nous avons perdu plusieurs clients, mais nous avons beaucoup diminué l’importance des faillites qui continuaient de se produire à cette époque difficile.

Troisième mesure. À partir de cette journée fatidique, j’ai systématisé l’enquête de crédit que nous faisions lorsqu’un nouveau client nous demandait une ligne de crédit (ce que nous faisions de façon aléatoire auparavant). J’ai même fait un peu plus que cela. J’ai demandé à ma banque, la Banque Nationale, de faire ces enquêtes pour nous (évidemment il y avait des frais) et je demandais à mon banquier de me confirmer par écrit que la situation financière du client était saine. Lorsque le banquier était réticent à le faire, je refusais d’accorder du crédit au client.

Malheureusement, il arrivait fréquemment que le client s’en aille voir un concurrent plus « compréhensif » que nous. Ma philosophie de l’époque était la suivante : « on va laisser les faillites aux concurrents et on va se concentrer sur les clients solides ». Inutile de vous dire que mon équipe de vente n’était pas très heureuse de cette attitude. Je me souviens même d’une discussion très haute en couleur avec un représentant au cours de laquelle je lui ai dit : « si tu es prêt à garantir de ta poche les achats de ce client, je vais lui accorder du crédit, mais si tu n’es pas prêt à le faire, je ne vois pas pourquoi je devrais le faire ». Ah oui, il m’est aussi arrivé de perdre des représentants !

Petite parenthèse ici, il m’arrive fréquemment de dire à mes clients qu’il est beaucoup plus difficile de faire une belle marge de profit qu’une petite marge de profit. Pour que la marge soit belle, il faut fréquemment dire non à des demandes de toutes sortes et garder le cap sur l’objectif, et ce, malgré la grogne.

Quatrième mesure, la plus importante. Nous produisions nos états de compte chaque mois et l’adjointe administrative qui s’en chargeait avait comme consigne de répertorier tous les clients qui n’avaient pas encore acquitté leur état de compte du mois précédent et de mettre leurs limites de crédit à zéro. Tous les clients n’ayant pas acquitté le mois précédent se voyaient mettre leur crédit à zéro, y compris Canadian Tire qui à l’époque représentait +/-18% de mes ventes, c‘était mon client le plus important. Ai-je besoin de vous dire que cela a généré des discussions très musclées (version polie) avec Canadian Tire. Je jouais la carte de la toute petite entreprise (facile, c’était vrai) qui n’avait pas le cash-flow nécessaire pour supporter un crédit important (ça c’était moins vrai).

Disons les choses comme elles le sont, l’acheteur de Canadian Tire et moi, nous nous sommes engueulés à quelques reprises, mais, malgré l’énorme pression, je n’ai jamais cédé. J’étais prêt à perdre le client s’il le fallait. À un moment donné, pour résoudre cette situation qui devenait quelquefois infernale, j’ai accepté de lui accorder un escompte de paiement rapide de 1,5% (il exigeait 2%) si son paiement était fait avant le 10 du mois et on n’a plus jamais eu de problème, du moins sur cet aspect.

L’adjointe administrative qui avait mis les limites de crédit à zéro contactait tous ces clients et elle leur demandait d’acquitter leur état de compte précédent. Les discussions avec le client étaient consignées dans un registre afin que, en cas de besoin, nous puissions nous y référer. Lorsqu’un de ces clients voulait passer une commande et que sa limite de crédit était à zéro, l’appel était transféré à cette adjointe qui rappelait au client sa conversation passée. Très souvent le client lui disait qu’il posterait un chèque au plus tard le lendemain. Nous débloquions alors la limite pour que notre département de commandes puisse le facturer. Dès que la transaction était faite, nous remettions la limite de crédit à zéro.

Il arrivait fréquemment que ce même client tente de nous passer une nouvelle commande 7-10 jours plus tard sans que nous ayons reçu son paiement. Le même processus se reproduisait alors, l’appel était transféré à l’adjointe administrative qui cette seconde fois refusait de débloquer le crédit puisque le client n’avait pas respecté sa parole. En référant à son registre, l’adjointe administrative pouvait dire au client par exemple « le 17 août dernier à 10h32, M. Tremblay m’a dit qu’il postait un chèque de 845,76$ dès le lendemain », nous sommes le 28 août et nous n’avons rien reçu. Pour obtenir sa nouvelle commande, le client devait soit l’acquitter sur réception, soit nous faire un transfert bancaire. Et il n’y avait AUCUNE exception.

Est-ce que nos clients aimaient cela? Pas du tout. Il arrivait fréquemment que le client très fâché demande à parler au PDG (moi). Ma réponse était toujours la même. Mon business c’est de rebâtir des culasses de moteur automobile, ce n’est pas de financer mes clients. Le financement, ça s’obtient dans une banque et c’est là que vous devez aller si vous avez besoin de capitaux.

Honnêtement, si j’avais fait preuve de flexibilité sur mes comptes à recevoir, le 25M$ cumulé en huit années aurait facilement pu devenir 30M$ peut-être même 35M$. Par contre, j’aurais certainement eu à éponger un gros paquet de mauvaises créances. Non merci.

Comme je le répète régulièrement à mes clients, les entrepreneurs vont éventuellement prendre leur retraite avec la ligne du bas (les profits), pas avec la ligne du haut (les ventes).

Bonne réflexion et bonne « éventuelle » retraite,